Un examen à froid, sans être médecin légiste, indique sans ambiguïté la misogynie de Marcel Duchamp. Il était, certes, homme de son temps – fin du XIXème/début XXème -, mais son irrespect pour les femmes -que plus modérés que moi qualifieraient d’irrévérence- était récurrent dans son art. Il le partageait avec son ami Dali et étaient tous deux connus dans Paris pour leur humour gras, parfois virulent.
Étant donnés, œuvre de Marcel Duchamp, réalisée entre 1946 et 1966, se compose d’une porte en bois percée de deux trous par lesquels le spectateur observe une scène mystérieuse. Derrière la porte, un corps féminin nu, inanimé, étendu sur des branches, tenant une lampe à gaz allumée. L’œuvre oblige le spectateur à adopter une position de voyeur pour en explorer les détails.
Derrière son apparente complexité conceptuelle, Duchamp perpétue une vision déshumanisante de la femme, réduite à un simple objet de contemplation passive et voyeuriste. La figure féminine, entièrement nue, est dépouillée de toute identité, de toute autonomie, même de son visage. Elle est transformée en un objet inerte, fait de cuir et d’autres matériaux, privée de la moindre subjectivité. Étendue sur des branches, tenant une lampe à gaz comme une relique, elle est présentée dans une posture évoquant autant la soumission que la vulnérabilité. Ce corps exposé, figé, devient l’incarnation du fantasme masculin traditionnel: femme muette, passive, existant uniquement pour être regardée.
Duchamp va plus loin en intégrant activement le spectateur dans cette dynamique d’objectification, car l’œuvre ne peut être vue qu’à travers deux petits trous dans une porte, obligeant celui qui regarde à adopter la posture explicite d’un voyeur. En plaçant le spectateur dans cette position, Duchamp légitime et banalise un rapport de domination visuelle sur la femme. Loin de questionner ce rapport, la démarche le renforce en le rendant indispensable à l’expérience même de l’œuvre. Ce voyeurisme imposé place le spectateur dans un rôle de contrôle absolu, qui regarde, qui analyse, qui juge, tandis que la femme reste silencieuse et exposée, incapable de répondre.
Loin de critiquer les dynamiques patriarcales, cette mise en scène les reproduit avec un cynisme glaçant. La construction même d’Étant donnés révèle un mépris implicite pour la femme en tant qu’être humain, car Duchamp n’y voit que matière malléable. Le corps féminin devient simple véhicule pour ses expérimentations artistiques, sans considération pour les implications éthiques ou culturelles de cette représentation. Étant donnés ne peut être dissociée de l’histoire de l’art patriarcal, où le corps féminin fut constamment utilisé comme un outil de pouvoir sur lequel les hommes projettent leurs fantasmes et leurs obsessions.
Malgré sa réputation de subversif, Duchamp s’inscrit dans cette lignée et produit là une œuvre qui fétichise la femme, qui ignore délibérément les questions du consentement. Étant donnés se réduit à une glorification du regard masculin, déguisée sous une apparence d’intellectualisme qui enferme la femme dans un rôle passif qui renforce les dynamiques oppressives façonnant l’art et la société.
Étant donnés rend par ailleurs hommage à Gustave Courbet avec L’Origine du Monde (1866).
Les deux œuvres soulèvent bien-sûr des questions sur la domination masculine dans l’art.
Mais si L’Origine du Monde a influencé Étant donnés, pourrait-elle aussi avoir influencé Fontaine?
A cet effet, l’analyse de la signature «R. Mutt» de Duchamp nous éclaire.
Parlons de Katherine Dreier, théosophe, héritière fortunée, figure influente de la scène artistique new-yorkaise, généreuse mécène de Duchamp. Dreier était membre du comité de sélection de l’exposition organisée par la Society of Independent Artists en 1917, qui a rejeté Fontaine. Dreier, qui avait voté contre l’œuvre, était une féministe, suffragette éminente, à la tête du Comité germano-américain du Woman Suffrage Party — exactement le genre de femme que Duchamp avait caricaturée par le passé.
Le mot «mutter», en allemand, signifie «mère». Mais «urmutter» va encore plus loin car il désigne la «mère originelle», la «mère ancestrale du peuple». Ainsi, «urmutter» rappelle directement L’Origine du Monde de Courbet, et raille Dreir, car écrite après coup.
Apollinaire avait renommé Fontaine: «Bouddha de la salle de bain». Souvent qualifiée d’«’œuvre d’art la plus influente du XXe siècle», Fontaine n’est pourtant qu’un gigantesque vulve en porcelaine, témoignage de ce mépris des femmes ayant animé Duchamp et sa carrière.
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